« Celui qui a écrit cet ouvrage n'a point eu la prétention d'en faire un ouvrage historique ; il a voulu seulement essayer de peindre les mœurs intérieures d'un peuple trop peu connu et trop sévèrement jugé. Ces mœurs étant presque entièrement demeurées les mêmes, surtout dans les campagnes, il était sans inconvénient de reporter l'action du livre à un siècle en arrière ; et l'époque choisie se rattachant à des événements qui ne sont pas les moins singuliers de ce temps, on a cru pouvoir y mêler les personnages. Toutefois, comme la Corse et son histoire sont en général très peu connues, il ne sera peut-être pas sans intérêt de trouver ici un exposé sommaire des motifs et des événements principaux de l'insurrection qui, commencée huit années avant celle dont on va parler, ne se termina réellement qu'en 1768, au moment du traité qui donna la Corse à la France.
Ce serait remonter beaucoup trop loin, et fatiguer inutilement l'attention du lecteur, que de rechercher par quelle suite de guerres la Corse, Phocéenne d'abord ou Étrusque, devint Carthaginoise, Romaine, Vandale, Sarrasine; comment Ugo CoIonna, parti de Rome en 816 avec mille fantassins et deux cents chevaux, chassa les Sarrasins, et fonda dans l'île une domination qui fut renversée, et une famille qui subsiste encore ; comment les Génois et les Pisans, sous le patronage des papes ou sous l'autorité de l'Empereur, prétendirent tour à tour à la souveraineté de la Corse ; et comment, après mille vicissitudes, Gênes y établit enfin un pouvoir trop absolu pour être juste, trop inquiet pour être modéré. Ce qu'il faut dire seulement, et ce dont on retrouvera quelquefois la trace dans le cours de cette narration, c'est que depuis 1195, époque où le premier vaisseau Génois s'empara de Bonifaccio à la faveur d'une fête, jusqu'en 1569, année où le fils du grand San-Piétro, Alphonse d'Ornano se retira en France, les Corses luttèrent presque constamment, et les armes à la main, contre la domination Génoise. Ce combat ne cessa que lorsqu'il fut absolument sans espérance ; mais les souvenirs, les traditions même en survécurent, et se transmirent de génération en génération chez un peuple à qui le reste du monde est trop étranger pour le distraire de ses intérêts de famille ou de ses sentiments de patrie. Quoi qu'il en soit de ces faits plus anciens, la république de Gênes était, au commencement du XVIIIe siècle, souveraine de l'île de Corse. Un commissaire-général, appelé quelquefois aussi provéditeur, y était le représentant et le délégué du sénat. Cinq évêques, car il y avait encore à cette époque cinq évêchés en Corse, y occupaient les sièges de Mariana, d'Aléria, d'Ajaccio, de Nebbio, de Sagonne, quoiqu'une partie de ces villes fût ruinée, et que plusieurs des résidences épiscopales eussent dû être transférées ailleurs. Un commandant des troupes, un trésorier, un auditeur-général chef de la justice, étaient placés sous les ordres du provéditeur. Tous ces officiers étaient Génois ; la durée de leurs fonctions était assez limitée. Le plus considérable de leurs traitements ne montait pas à neuf cents sequins par an ; et cependant plus d'un d'entre eux était revenu riche de ce pauvre pays. Les impôts, sans être démesurément élevés, étaient perçus avec une extrême rigueur, et basés sur les principes d'une administration toute étrangère à l'île. Les troupes étaient Génoises, et ne se regardaient en Corse que comme en pays étranger ou conquis. Les lois Génoises régissaient les procès, et déterminaient une pénalité habituellement fort sévère. On avait laissé aux Corses la division de leurs pièves ou cantons, qui renferment chacun un certain nombre de paroisses, la nomination de leurs pères des communes, magistrats locaux, élus dans les paroisses pour remplir des fonctions que leur nom explique assez, et l'élection de douze députés chargés de défendre, auprès du gouverneur, les intérêts de leurs concitoyens ; mais on avait mis des officiers et des podestats Génois partout où l'on avait pu les placer. À côté des pères des communes, les juges inférieurs étaient Génois, aussi bien que les collecteurs d'impôts ; et, quant aux députés, le provéditeur, n'étant point obligé d'avoir égard à leurs représentations, en faisait ordinairement si peu de cas, que leur intervention ne servait qu'à manifester plus hautement la faiblesse d'un côté, le despotisme de l'autre. Il n'y avait donc, entre les maîtres et les sujets, ni confiance, ni affection, ni lien ; et, pour tout dire en un mot, Gênes considérait la Corse comme une conquête, et les Corses considéraient la république de Gênes comme un oppresseur. »
Claire Caralanzi, ou la Corse en 1736, par le Cte A. de Pastoret. Tome 1. Le présent ouvrage s'inscrit dans une politique de conservation patrimoniale des ouvrages de la littérature Française mise en place avec la BNF. HACHETTE LIVRE et la BNF proposent ainsi un catalogue de titres indisponibles, la BNF ayant numérisé ces oeuvres et HACHETTE LIVRE les imprimant à la demande. Certains de ces ouvrages reflètent des courants de pensée caractéristiques de leur époque, mais qui seraient aujourd'hui jugés condamnables. Ils n'en appartiennent pas moins à l'histoire des idées en France et sont susceptibles de présenter un intérêt scientifique ou historique. Le sens de notre démarche éditoriale consiste ainsi à permettre l'accès à ces oeuvres sans pour autant que nous en cautionnions en aucune façon le contenu. Pour plus d'informations, rendez-vous sur www.hachettebnf.fr
Ce serait remonter beaucoup trop loin, et fatiguer inutilement l'attention du lecteur, que de rechercher par quelle suite de guerres la Corse, Phocéenne d'abord ou Étrusque, devint Carthaginoise, Romaine, Vandale, Sarrasine; comment Ugo CoIonna, parti de Rome en 816 avec mille fantassins et deux cents chevaux, chassa les Sarrasins, et fonda dans l'île une domination qui fut renversée, et une famille qui subsiste encore ; comment les Génois et les Pisans, sous le patronage des papes ou sous l'autorité de l'Empereur, prétendirent tour à tour à la souveraineté de la Corse ; et comment, après mille vicissitudes, Gênes y établit enfin un pouvoir trop absolu pour être juste, trop inquiet pour être modéré. Ce qu'il faut dire seulement, et ce dont on retrouvera quelquefois la trace dans le cours de cette narration, c'est que depuis 1195, époque où le premier vaisseau Génois s'empara de Bonifaccio à la faveur d'une fête, jusqu'en 1569, année où le fils du grand San-Piétro, Alphonse d'Ornano se retira en France, les Corses luttèrent presque constamment, et les armes à la main, contre la domination Génoise. Ce combat ne cessa que lorsqu'il fut absolument sans espérance ; mais les souvenirs, les traditions même en survécurent, et se transmirent de génération en génération chez un peuple à qui le reste du monde est trop étranger pour le distraire de ses intérêts de famille ou de ses sentiments de patrie. Quoi qu'il en soit de ces faits plus anciens, la république de Gênes était, au commencement du XVIIIe siècle, souveraine de l'île de Corse. Un commissaire-général, appelé quelquefois aussi provéditeur, y était le représentant et le délégué du sénat. Cinq évêques, car il y avait encore à cette époque cinq évêchés en Corse, y occupaient les sièges de Mariana, d'Aléria, d'Ajaccio, de Nebbio, de Sagonne, quoiqu'une partie de ces villes fût ruinée, et que plusieurs des résidences épiscopales eussent dû être transférées ailleurs. Un commandant des troupes, un trésorier, un auditeur-général chef de la justice, étaient placés sous les ordres du provéditeur. Tous ces officiers étaient Génois ; la durée de leurs fonctions était assez limitée. Le plus considérable de leurs traitements ne montait pas à neuf cents sequins par an ; et cependant plus d'un d'entre eux était revenu riche de ce pauvre pays. Les impôts, sans être démesurément élevés, étaient perçus avec une extrême rigueur, et basés sur les principes d'une administration toute étrangère à l'île. Les troupes étaient Génoises, et ne se regardaient en Corse que comme en pays étranger ou conquis. Les lois Génoises régissaient les procès, et déterminaient une pénalité habituellement fort sévère. On avait laissé aux Corses la division de leurs pièves ou cantons, qui renferment chacun un certain nombre de paroisses, la nomination de leurs pères des communes, magistrats locaux, élus dans les paroisses pour remplir des fonctions que leur nom explique assez, et l'élection de douze députés chargés de défendre, auprès du gouverneur, les intérêts de leurs concitoyens ; mais on avait mis des officiers et des podestats Génois partout où l'on avait pu les placer. À côté des pères des communes, les juges inférieurs étaient Génois, aussi bien que les collecteurs d'impôts ; et, quant aux députés, le provéditeur, n'étant point obligé d'avoir égard à leurs représentations, en faisait ordinairement si peu de cas, que leur intervention ne servait qu'à manifester plus hautement la faiblesse d'un côté, le despotisme de l'autre. Il n'y avait donc, entre les maîtres et les sujets, ni confiance, ni affection, ni lien ; et, pour tout dire en un mot, Gênes considérait la Corse comme une conquête, et les Corses considéraient la république de Gênes comme un oppresseur. »
Claire Caralanzi, ou la Corse en 1736, par le Cte A. de Pastoret. Tome 1. Le présent ouvrage s'inscrit dans une politique de conservation patrimoniale des ouvrages de la littérature Française mise en place avec la BNF. HACHETTE LIVRE et la BNF proposent ainsi un catalogue de titres indisponibles, la BNF ayant numérisé ces oeuvres et HACHETTE LIVRE les imprimant à la demande. Certains de ces ouvrages reflètent des courants de pensée caractéristiques de leur époque, mais qui seraient aujourd'hui jugés condamnables. Ils n'en appartiennent pas moins à l'histoire des idées en France et sont susceptibles de présenter un intérêt scientifique ou historique. Le sens de notre démarche éditoriale consiste ainsi à permettre l'accès à ces oeuvres sans pour autant que nous en cautionnions en aucune façon le contenu. Pour plus d'informations, rendez-vous sur www.hachettebnf.fr